A l'issue de la représentation du « DINDON», pièce
de Georges FEYDEAU, au Théâtre 13, le samedi 12 janvier 2013 à 19 h 30, les co-metteurs en
scène, Vica ZAGREBA et Hélène LEBARBIER ainsi que l’ensemble des comédiens et
des musiciens de la compagnie « Guépard Echappée » ont accordé à notre
association une rencontre exclusive. Nous vous proposons de revivre
l’intégralité de ce moment privilégié.
Petits Théâtres entre Amis (PTA) :
Expliquez-nous tout d’abord d’où vient le nom de votre compagnie ? Et
pourquoi cette faute d’orthographe ?
Vica ZAGREBA (VZ) : C’est une compagnie qu’on a
créée en 2005. On venait de sortir de l’école pour certains d’entre nous qui
étaient déjà là. Alors, le titre ! Quelque part, ça nous faisait rire et
on voulait parler de l’animalité, d’être à l’affut. On pensait que cet animal
là, la jeunesse, la fougue, l’envie, l’enthousiasme, ça pouvait peut être nous
ressembler. Et « Echappée »… bon, c’est un peu stupide parce que
« guépard » est au masculin et « échappée » est au féminin
mais « Echappée » comme UNE échappée… Bon, nous avions 23 ans !
En fait, c’est pas mal parce qu’on peut nous appeler, on l’a déjà vu,
« les antilopes envolées » !
PTA : « Echappée » dans la
création ?
VZ :
« Echappée » de la vie, de notre société… un peu une bouffée d’air.
PTA :
En fait, on peut y mettre ce que l’on veut derrière
« Echappée » !
VZ :
Voilà, absolument !
PTA : La pièce que nous avons vue ce soir a été
jouée en juillet dernier à Avignon et jouée pour la première fois en mai 2011
dans le cadre du « Festival Enfants de Troupe Premiers pas »
acceuilli par le Théâtre du Soleil. Pouvez-vous nous présenter ce festival peu
connu ?
VZ : C’est un festival de jeunes compagnies et
nous avons été choisis. C’est grâce à Ariane MNOUCHKINE que ce festival existe.
Je ne sais pas si certains d’entre vous connaissent le système de la
« Cartoucherie de Vincennes » ? Nous avons tous fait la cuisine,
la billetterie, le ménage, l’accueil. Voilà, on a commencé comme ça et ce
festival nous a offert la possibilité de jouer sous un chapiteau. Et vous avez
vu qu’on est un petit peu saltimbanque et qu’avec cette mise en scène ça s’y
prêtait très bien.
PTA : A propos du « Théâtre du
Soleil », avez-vous le même mode de fonctionnement à savoir, est-ce que
les comédiens se sont essayés à différents rôles avant d’arrêter la
distribution définitive ?
VZ : J’ai été très sensibles aux spectacles que
j’ai vus là-bas, à cette femme complètement charismatique, à cette façon de
créer et de partager les choses. Mais nous, on n’est pas des « mini
Mnouchkinien » dans le sens où on ne travaille pas tous les rôles et on ne
se les distribue pas quelques jours avant. Non, nous ce sont des rencontres qui
ses sont faites. On s’est choisit mutuellement sur des rôles proposés.
PTA : Revenons sur la troupe. Comment
l’avez-vous créée et quels sont les socles communs ?
VZ : Nous sommes plusieurs acteurs en fait à
avoir fondé cette compagnie. C’est le troisième spectacle de la compagnie. Il y
a des acteurs qui ses sont « ajoutés », au bon sens du terme, au fur
et à mesure des spectacles et des échanges qui ont été faits. Certains viennent
de la même école et ont fait des stages en commun. Avec Hélène, notre
collaboration a commencé à la cartoucherie, avec notre « Dindon »,
Sébastien, on sort de la même école, de même que Laure, et Aurélia. Cékine,
nous étions au lycée ensemble. Bref c’est un melting pot de chemins qui se sont
croisés. Quant aux musiciens, c’est quelque chose d’assez extraordinaire. La
première version de ce spectacle était avec une chanteuse lyrique et un
guitariste. C’était une première ébauche. Et puis, lorsque nous avons remonté
vraiment ce spectacle, nous cherchions des musiciens. Et on a trouvé un groupe
de musiciens qui nous ressemblaient.
Un musicien : Nous venons pour la plupart de
Strasbourg.
VZ : On avait mis une annonce dans les
conservatoires de Paris et de régions pour dire que l’on recherchait un groupe
de musiques traditionnelles Tziganes des Balkans. Cette annonce a été diffusée
dans la France entière ! C’est finalement Elodie que j’ai eue au téléphone
qui semblait très intéressée par notre projet. Nous mêmes nous avions écouté
leur « MySpace » et on les avait trouvé absolument fabuleux. Du coup,
au téléphone, je lui ai dit « rencontrons-nous au café, ça sera peut être
plus simple pour discuter ». Elle me dit « oui, mais moi, je
suis à Strasbourg ! » C’est ça qui est extraordinaire, c’est que ça a
tenu. On est quand même une très grande équipe, ça je tiens à le signaler Il y
a 9 acteurs, 6 musiciens, un régisseur, un créateur de lumière. En fait, en
tout on est 18. Et c’est pas évident d’avoir des aussi grosses équipes et à
faire tenir. Ça fait maintenant deux ans que nous sommes tous ensemble. Ce sont
les mêmes depuis le début. Et voilà, cette rencontre c’est faite malgré
Strasbourg, Bruxelles, Lyon !
PTA : Par force c’est quand même une troupe à
géométrie variable qui dépend des pièces ?
VZ : Le choix des pièces ne se fait pas sur le
nombre uniquement. C’est suivant les envies de chacun, suivant les propositions.
Il faut que ça parte sur l’envie tellement forte de travailler ensemble et pas
uniquement se dire qu’on est de la même compagnie. J’ai l’impression qu’on est
un collectif d’artistes, une grande famille en fait. En plus on est une équipe
assez particulière parce qu’on est plusieurs metteurs en scène. C’est à dire
que les acteurs, beaucoup d’entre eux sont metteurs en scène. Il y en a qui
sont réalisateurs. On est plusieurs à chaque fois à avoir des casquettes assez
diverses, ce qui enrichit beaucoup notre façon de travailler et d’échanger.
PTA : A propos de cette co-mise en scène,
est-ce que les rôles de chacune ont bien été définis au départ ou est-ce
que ça revient à dire que l’une est l’assistante de l’autre ?
VZ : C’est une très belle rencontre avec Hélène
Lebarbier. J’avais déjà présenté ce spectacle en 2008 dans
le cadre du festival des jeunes metteurs en scène au Théâtre 13 et La
Cartoucherie a eu vent de ce spectacle alors que nous étions Hélène et moi en
plein stade de Philippe Adrien. J’étais aussi sur un autre projet en tant que
metteur en scène et adaptatrice et ça devenait très compliqué de tout gérer. Et
notre rencontre a fait que nous avons eu une très grande envie de travailler
ensemble.
Hélène LEBARBIER (HL) : Pour la petite anecdote :
On était en plein choix de textes et de scènes pour le stage de Philippe Adrien
et on s’est retrouvée avec Vica avec trois ou quatre scènes en commun pour les
mêmes rôles ! Du coup il y avait déjà une communion d’envie de travail.
Quand elle est venue me proposer ce projet et qu’elle m’a dit que c’était
« Le Dindon » mais monté à la manière Tzigane. C’était incroyable
parce que j’ai fait un mémoire… parce que j’ai fait science Po avant, voilà…
une autre vie, sur les Tziganes justement. Et en plus on s’était apprivoisée en
tant que comédienne et en tant que metteur en scène. C’est vraiment un échange
constant qui, pour notre plus grand bonheur, va dans le même sens, depuis deux
ans que l’on travaille sur cette pièce.
VZ : Donc, il n’y a pas d’assistant.
HL : Si on en a créé un imaginaire, qui
s’appelle Viclène le Zagribier !! Voilà, une association un peu imaginaire
d’assistanat !
PTA : Vous dites dans votre lettre d’intention
que le vaudeville de Feydeau annonce le Théâtre de l’absurde. Ionesco, genet,
Beckett n’étant pas vraiment proches de Feydeau, pouvez-vous nous expliquer
comment vous passer du vaudeville à l’absurde ?
Sébastian RAJON (SR) : Déjà on ne peut pas
mettre dans le même sac Beckett et Ionesco. Beckett, ce n’est pas du tout du
Théâtre absurde. Le mot absurde vient des surréalistes…
PTA : Et des Dadaïstes…
SR : C’est une mauvaise lecture pour Beckett,
je pense, ça se dit qu’il est un auteur absurde mais ce n’est pas du tout le
cas. Il y a quelque chose chez Ionesco de commun à Feydeau, à Courteline qu’il
n’y a pas chez Guitry et Labiche qui sont aussi des auteurs de vaudeville mais
où il n’y a pas cet absurde, où on ne pousse pas la chose au-delà du réalisme.
C’est-à-dire qu’on reste dans des clous chez Labiche ou Guitry même si ça peut
être très corrosif ou très violent, très drôle mais il y a quelque chose chez
Ionesco qui se rapproche de Courteline. Et spécialement dans cette pièce là de
Feydeau il y a énormément un comique de langage, ce qui est plus propre du
théâtre de Courteline et qui est le propre de Ionesco et de tout ce mouvement
là.
PTA : Oui mais un langage très cohérent alors
qu’on est dans l’incommunicabilité avec dans le théâtre de l’absurde. Alors que
là on n’est pas du tout dans l’incommunicabilité, on est véritablement dans du
vaudeville, dans le « il faut pas le dire au voisin » !
SR : C’est une manière de ne pas communiquer ou
de mal communiquer.
VZ : C’est moi qui est sortit ça !
PTA : On n’est pas au Tribunal, on discute
simplement !!
VZ : Je ne suis pas une spécialiste de Feydeau
mais on a quand même beaucoup travaillé sur cet auteur et le rapport entre
Feydeau et Ionesco c’est quelque chose qui existe. Feydeau amène les prémices
dont va se servir Ionesco. Il y a même une pièce dont je ne me rappelle plus le
titre où il va pousser de plus en plus loin la folie. C’est une pièce avec une
cocotte et un mari dans un lit…
HL : Oui, il y a dans cette pièces des éléments
de surréels et de rêve qui poussent le délire du vaudeville dans une folie,
voire même dans l’inconscient. Dans cette scène la couverture va s’envoler et
va revenir à sa place. On est presque dans un univers magique. Et la, on quitte
le domaine rationaliste du vaudeville.
PTA : Vous dites que c’est une adaptation.
Est-elle fidèle au texte ?
HL : C’est complètement « Le Dindon »
mais nous avons coupé du texte. Nous ne présentons pas la version longue.
SR : Pour des soucis de format. Que ce soit à
Avignon ou ici, les théâtres donnent des formats qu’on ne peut pas dépasser.
HL : On est passé d’une pièce de 2 h 40 à 1 h
45. Tous les dialogues sont évidemment respectés mais il a fallu faire un choix
d’adaptation. On a décidé de passer sous silence ou de ne pas évoquer tout ce
qui est le rapport à la loi, au procès-verbal et à la résolution notamment finale,
puisque c’est surtout l’acte III qui a été coupé, parce que justement dans
cette optique jeune, il a fallu adapter cette pièce à l’équipe. Ça nous parlait
plus dans l’univers contemporain, en fait. Tout ce qui est résolution par les
commissaires de loi au final est peut être un peu tombé en désuétude.
VZ : C’est un parti pris aussi. Moi,
personnellement, je n’aurai pas su comment le mettre en scène. Moi-même, je ne
comprends plus trop ces histoires de personnages de loi qui arrivent pour
dire : « oui, je vous vois, Madame, vous avez trompé votre mari et
avec un tel… »
HL : Donc, le choix justement était celui de
l’ouverture, c’est à dire de rester toujours dans cette dynamique à savoir que
ça peut recommencer dès le lendemain soir !
SR : A l’époque c’était quelque chose qui
résonnait fort ces problèmes de loi alors qu’aujourd’hui c’est d’une banalité
sans nom. C’était peut être moins intéressant de parler de ça aujourd’hui que
ça pouvait l’être à l’époque de Feydeau où c’était quelque chose d’extrêmement
rare, en tout cas caché, déshonorant, humiliant ou indigne. Aujourd’hui, c’est
banalisé.
PTA : A propos de la musique : Est-ce une
musique originale qui a été écrite pour la pièce ?
Le musicien : C’est une musique traditionnelle
en fait. Donc, c’est libre de droits !
PTA : Je dois avoir une tête de juriste, moi,
ce n’est pas possible !! Rassurez-vous, je ne travaille pas pour la
SACEM !! Est-ce que la position centrale des musiciens sur la scène a été
un débat pour vous ?
VZ : En fait, c’est un espace qui est très
compliqué à s’approprier. Et puis, nous on aimait le fait qu’ils soient comme
sous une tente.
PTA : Pouvez-vous nous expliquer votre travail
avec la costumière, Laurence Barrès, et la symbolique des costumes ?
VZ : Tout est parti de cette bobine de chantier
et de ces portes sans mur. Vous voyez, tout est fait un peu de bric et de broc.
Le choix des matières et des couleurs, c’est entre le saltimbanque et le luxe.
PTA : Et cette « battle » !
C’est de l’impro ou c’est un gros travail ?!
SR : Non, on est danseur professionnel, ça se
voit d’ailleurs !
Clément VIEU (CV) : On a travaillé cinq ans
avec Maurice Béjart ! On est parti d’une idée d’improvisation et de clan.
Il y avait deux clans, les pro-Rédillon et les pro-Pontagnac et on a pris chacun
des musiciens et on a répété des mouvements. Et ensuite, une chorégraphe est
intervenue pour un petit peu organiser tout ça.
PTA : Est-ce que c’est tous les soirs la même
chorégraphie ?
CV : On essaye !! On essaye de s’y tenir
un peu !
PTA : Votre compagnie fait des lectures en
prison. Comment avez-vous pu pénétrer l’univers carcéral ?
VZ : Lorsque l’on a monté « l’ile aux
esclaves » de Marivaux, quelqu’un dans le public qui travaillait dans le
milieu carcéral a beaucoup aimé et nous a contacté. Ça fait quatre ans qu’on
joue des spectacles là-bas et qu’on organise des lectures.
SR ; Sans mauvais jeu de mots, c’est une forme
d’évasion.
PTA : Ou une « échappée » ! Elle
est là votre « Echapée » !